Prisé par les Asiatiques depuis plus de 5000 ans, le soja a des qualités nutritionnelles exceptionnelles, un rôle protecteur face aux accidents cardio-vasculaires…Mais associé au cancer, il semble menaçant. Quelles idées reçues sur le soja faut-il prendre au sérieux? Le point avec le Pr Catherine Bennetau, chercheur en sciences animales et nutrition-santé, à Bordeaux.
« La consommation de soja protège du cancer du sein. »
Plutôt vrai. Si la consommation a toujours été régulière, modérée, et inscrite dans une alimentation variée, un peu comme celle des Asiatiques, oui, le soja, et les phyto-oestrogènes qu’il contient, appelés « isoflavones », peuvent avoir des effets protecteurs contre le cancer du sein. Car à long terme, ces isoflavones sembleraient avoir des effets épigénétiques. Cela veut dire qu’ils exerceraient une action sur l’ADN, pouvant éventuellement bloquer la lecture de certains gênes dont ceux à l’origine de la mutation d’une cellule saine en cellule cancéreuse. Ceci expliquerait aussi que les femmes asiatiques développent moins de cancers du sein.
« Le soja est à éviter lorsqu’on a un cancer du sein. »
Vrai et faux. Tout dépend du type de cancer du sein que l’on a. Si c’est un cancer ER moins , c’est-à-dire hormono-indépendant et donc dépourvu de récepteurs aux oestrogènes, on peut consommer du soja. Si l’on a un cancer ER plus, c’est-à-dire hormono-dépendant avec des récepteurs aux oestrogènes, il faut savoir que ces derniers peuvent être de deux sortes : Béta , ou Alpha . S’ils sont Béta, la consommation de soja n’est pas dangereuse. S’ils sont Alpha, l’arrivée de phyto-oestrogènes, par voie alimentaire, peut aider à la prolifération des cellules cancéreuses. Malheureusement, l’oncologue n’apporte pas toujours cette précision sur la nature des récepteurs. Mais comme dans 90 % des cas, ils sont Alpha, chez la femme après 50 ans, mieux vaut éviter de manger du soja dès lors que l’on sait que l’on a un cancer Er plus (hormono-dépendant). D’autant plus encore que dans le cadre de ce cancer, l’arrivée des isoflavones peut contrecarrer les effets de certains traitements comme le tamoxifène.
« Le soja est à éviter si on a des antécédents de cancer du sein. »
Plutôt vrai. Car si le cancer en question est ER plus et qu’il doit récidiver, les isoflavones accélèreront cette reprise à partir des cellules qui n’auraient pas été détruites par les précédents traitements.
« Le soja peut favoriser la croissance tumorale. »
Plutôt faux. Les isoflavones ne sont problématiques que dans le cadre de cancers hormono- dépendants. Sinon au contraire ils restent des polyphénols aux propriétés anti-oxydantes, ayant même sans doute un léger effet protecteur dans le cadre de tous les autres cancers. Le soja reste donc un bon aliment.
« Le soja protège du cancer du col de l’utérus. »
Plutôt faux. Il n’y a pas vraiment de données précises là-dessus. Mais des études ont montré récemment que des femmes consommant vraiment beaucoup de soja pouvaient développer des endométrioses, des polypes, des fibromes, pas forcément avec lésions cancéreuses mais demandant une intervention chirurgicale. Et comme pour le cancer du sein, si une tumeur à récepteurs aux oestrogènes est déjà présente, les isoflavones peuvent aider à la prolifération des cellules cancéreuses.
« Le soja protège du cancer de la prostate. »
Plutôt vrai. Il faut savoir que l’on a traité pendant des années le cancer de la prostate avec des œstrogènes. Ce qui prouve que les phyto-oestrogènes auraient plutôt un rôle protecteur face à ce cancer. Mais on a aussi observé qu’il y avait autant de cancers de la prostate en Asie qu’en Occident. En revanche, le taux de mortalité par cancer de la prostate est nettement inférieur chez les hommes Asiatiques. Cela laisse penser que le soja aurait surtout un rôle protecteur dans la progression du cancer, mais pas dans son apparition. Cette tendance peut par ailleurs s’inverser dans le cadre d’un cancer de la prostate avec récepteurs aux oestrogènes Alpha, et Béta tronqués (qui réagissent alors comme Alpha). Mais à priori une consommation sans excès du soja, dans le cadre d’une alimentation variée ne peut pas s’avérer néfaste.
« Le « problème » du soja est sa teneur en isoflavones. »
Vrai. Autrefois sa méthode de fabrication en Asie, et notamment sa fermentation, permettait l’élimination d’une bonne partie des isoflavones, ce qui rendait cet aliment totalement neutre et inoffensif. L’industrialisation a modifié cela. Cependant la teneur en isoflavones reste variable d’un lot de soja à l’autre. Elle dépend de la variété de la plante, de la quantité d’azote présente dans le sol, de la pluie, de la présence de champignons sur la plante ou pas. Conclusion, un soja sans isoflavones serait la solution.
« Le soja doit toujours être consommé de façon modérée. »
Vrai. Plus qu’un « aliment-santé », c’est un alicament, qui comme un médicament fait du bien à bonne dose, et devient dangereux consommé en excès. Mais au vu de ses nombreux avantages (protection cardio-vasculaire, diminution des effets de la ménopause, prévention de l’ostéoporose, bonne source de protéines dans le cadre d’un régime) il serait dommage de s’en priver. Une consommation ponctuelle (exemple : salade soja-crevettes au restaurant chinois, tofu un soir de la semaine) ne pose évidemment aucun problème. Pour une consommation quotidienne, mieux vaut ne pas dépasser le taux de 1 mg d’isoflavones/ kilo/ Jour. (Exemple : 9, 53 mg d’isoflavones pour 100 g de tofu, 8, 22 mg d’isoflavones pour 100 ml de yaourt au lait de soja, et attention, 30.52 à 98.52 mg d’isoflavones pour 350 ml (un bol) de lait de soja, en fonction du lot et de la marque). Les aliments dérivés du soja reste par ailleurs déconseillés aux enfants de moins de trois ans suivant les recommandations de l’AFSSA et de l’ AFSSAPS en 2005.
Céline Roussel