Plan Cancer 3 : s'attaquer d’abord aux inégalités sociales | la maison du cancer

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Faire en sorte qu’un ouvrier ait le même risque de souffrir d’un cancer qu’un cadre est le fil rouge du nouveau plan cancer, lancé le 4 décembre dernier. Un chantier ambitieux lorsqu’on sait combien les disparités de revenus, de conditions de vie et d’accès aux informations se creusent en France.

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« Le plan cancer sera un plan de lutte contre les inégalités » a annoncé François Hollande, le 4 décembre 2012, lors du lancement du 3e plan cancer pour la période 2014 – 2018. S’il n’est pas possible de lutter contre les inégalités génétiques entre individus, les différences sociales sont, elles, évitables. Et pourtant, elles augmentent : pour la période 1999 – 2007, le risque de décéder d’un cancer était 2,5 fois plus élevé chez les personnes ayant le niveau d’étude le plus bas comparé à celles ayant le niveau d’étude le plus haut. Entre 1968 et 1974,  cet écart ne valait « que » 1,5.

Chaque moment de la maladie est vecteur de disparités. Toutefois, « les inégalités sont plus importantes en amont du cancer, notamment lorsqu’il s’agit de la prévention » indique Jean-Baptiste Herbet, responsable du département de recherche en Sciences Humaines et Sociales, Épidémiologie et Santé Publique (SHS-ESP) à l’Institut National du cancer (INCa).

 Un impact variable des messages de prévention

         De nombreux éléments jouent sur la sensibilité de chacun aux messages de prévention. Les principaux sont les revenus et le niveau d’étude. Mais il faut aussi prendre en compte les facteurs de risque liés au style de vie (tabagisme, consommation d’alcool, alimentation etc.), l’entourage et l’appartenance à des réseaux ou des communautés plus ou moins sensibilisés, l’environnement et les conditions de travail (stress, chômage, contact avec des polluants, etc.) et enfin les conditions de vie (logements sains, proximité avec des centres de sport etc.).

Cette multiplicité de facteurs explique pourquoi les campagnes de prévention sur le tabagisme et la hausse du prix des cigarettes n’ont pas eu les effets escomptés.

On constate qu’il y a eu une augmentation du nombre de fumeurs parmi les catégories sociales les moins favorisées : en 2000, 40 % des ouvriers fumaient. Ils étaient 43 % en 2010, contre 25 % des cadres supérieurs (27 % en 2000). Lionel Pourtau, sociologue à l’institut Gustave Roussy, donne un éclairage sur cette hausse contraire à la logique : « Les catégories socioprofessionnelles favorisées ont une espérance de vie en bonne santé en moyenne plus longue que les autres. Cela induit des stratégies de vie différentes. Les catégories les plus favorisées économisent leur santé pour en profiter le plus longtemps possible. Alors que celles défavorisées ont davantage tendance à profiter de l’instant présent (en se faisant plaisir avec une cigarette) puisque l’avenir est incertain ». Ainsi les campagnes de prévention et de dépistage ont une efficacité limitée.

 Les freins à la participation aux campagnes de dépistage

Mêmes causes, mêmes effets : certaines catégories socioprofessionnelles ne participent pas ou peu aux campagnes de dépistage, ou ne viennent pas chercher leurs résultats, par peur de découvrir la maladie. Cela retarde alors le début des soins et diminue les chances de guérison.

En matière d’accès aux soins, les inégalités sociales n’augmentent pas. Pourtant, ce sont les plus aisés qui bénéficient des dernières avancées thérapeutiques.  En effet, « on a constaté que les innovations profitaient davantage aux catégories sociales les plus aisées, car celles-ci sont mieux tenues au courant, et ont les moyens d’y avoir recours. Cela explique pourquoi l’écart se creuse entre les catégories sociales, explique Jean-Baptiste Herbet ».

 Des pistes prometteuses

         Pour contrer les inégalités, de nouveaux axes de lutte ont germé dans l’esprit des chercheurs et sont actuellement à l’étude, comme l’aide à la reconnaissance des droits pour les cancers professionnels. Ou encore la mise en place de campagnes de prévention en mobilisant de nombreux acteurs autour des lycées défavorisés pour lutter contre l’obésité (facteur de risque du cancer). « Un autre espoir de prévention est le paquet de cigarettes neutre, sur lequel la marque du fabricant n’apparaît pas. Cela annihile tout effet de marketing sur les fumeurs. Ce système a fait ses preuves en Australie » ajoute Lionel Pourtau. Autre idée, venue des États-Unis : la mise au point d’un accompagnement des personnes défavorisées par des « navigateurs ». « Ce sont des sortes de coachs qui soutiennent et guident les malades pendant leur parcours de soins, pour participer aux campagnes de dépistage, aller chercher les résultats, etc., explique Jean-Baptiste Herbet ».

Pour le chercheur de l’INCa, « il apparaît également intéressant d’agir  sur les « causes des causes », plus éloignées des individus (le chômage, les conditions de travail, etc.) et non plus seulement sur les causes directes (tabac, alcool, amiante etc.). Cette approche semble avoir plus d’impact sur l’incidence et la mortalité de la maladie. Selon lui, la lutte contre le cancer ne se limite pas à la création une politique de santé. Cela va au-delà : « il faudrait également améliorer les conditions de travail, lutter contre le chômage, modifier l’aménagement du territoire, etc. ». Espérons que le nouveau plan cancer pourra aboutir à la construction d’une politique globale plus égalitaire.

Cécile PINAULT

Photo : © Présidence de la République – Christelle ALIX

Source :Discours de François Hollande le 4 décembre