L’aspirine anti cancer? | la maison du cancer

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C’est la dernière molécule dont on parle, et pourtant l’une des plus anciennes dans nos boîtes à pharmacies familiales. Après avoir accompagné les astronautes américains sur la lune, calmé moult maux de tête et sauvé des milliers de cœurs, l’aspirine intéresse désormais au plus haut point les cancérologues. 

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Mise au point en 1897 par un chimiste allemand, l’aspirine a su conquérir le cœur des cardiologues et des rhumatologues, au point que la production mondiale dépasse les 10.000 tonnes par an. Plus d’un Français sur deux en a d’ailleurs dans son armoire à pharmacie. L’intérêt que suscite cette bonne vieille molécule copiée à partir d’un extrait de l’écorce de saule blanc, va-t-il connaître un nouveau rebondissement ? C’est possible, si l’on en croit les chercheurs qui s’interrogent sérieusement sur les possibles effets préventifs de l’aspirine en cancérologie. Cela fait déjà quelques années que cette hypothèse a été soulevée. Mais sachant qu’une tumeur met 10 ou 20 ans avant de faire vraiment parler d’elle, on manquait de recul suffisant pour y répondre. Grâce à une équipe de chercheurs britanniques, on dispose enfin d’éléments probants. Et les résultats s’avèrent très prometteurs …

Moins de cancers digestifs ?

Une baisse inattendue de 21 % du risque de mortalité globale par cancer : tel est le bon résultat obtenu par cette équipe du London School of Hygiene & Tropical Medicine et publié dans la revue scientifique de renom, «The Lancet». Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont compilé les données de 8 études de cardiologie, portant sur la comparaison, par rapport à un groupe témoin, c’est à dire non traité, de 25.570 patients suivis pendant 20 ans : ces patients étaient mis sous aspirine à petites doses – de 75 à 100 mg par jour – dans le but de prévenir un nouvel infarctus du myocarde ou un accident vasculaire cérébral. En effet, l’aspirine est un bon «fluidifiant du sang». Jusqu’ici, ces études n’avaient été utiles qu’aux cardiologues. La bonne idée de ces chercheurs londoniens est d’avoir repris les résultats en tenant compte, cette fois, du nombre de cancers et du nombre de décès par cancers chez tous ces patients (ceux traités et ceux non traités).

Les résultats ont été au-delà de leurs espérances avec, chez les patients sous aspirine, une baisse notable du risque de cancers  – 24 % en moins pour le cancer du côlon, en particulier les cancers les plus haut situés – et une diminution de la mortalité par cancer chez ceux qui en ont déclaré un : à cinq ans, la mortalité était abaissée de 54% pour les cancers colorectaux. A 20 ans, elle l’était encore de 40% pour le cancer colorectal et de 60% pour les cancers de l’œsophage. Les cancers de la prostate ont également vu leur mortalité baisser de 10% et le cancer du poumon, de 30%. Des résultats jugés plus que prometteurs et qui viennent confirmer ce que d’autres études portant sur de plus petits effectifs pressentaient déjà : l’aspirine présente bien un intérêt pour la prévention de certains cancers (notamment ceux de type «adénocarcinomes»), probablement grâce à ses propriétés anti-inflammatoires dont le mécanisme exact n’est pas encore connu.  

Aspirine, pas si anodine

Cependant, si l’aspirine ou acide acétylsalicylique avait été découverte aujourd’hui, il est probable qu’elle n’aurait pas eu d’autorisation de mise sur le marché, en raison de ses effets secondaires. En l’occurrence, même à faible dose, l’aspirine provoque des hémorragies digestives, parfois mortelles. De plus, cette molécule est susceptible d’aggraver une insuffisance rénale ou hépatique … Pour toutes ces raisons, les médecins n’envisagent pas aujourd’hui de donner de l’aspirine à petite dose aux adultes en bonne santé. En revanche, ils s’interrogent très sérieusement sur l’opportunité de la prescrire chez des patients à risque accru de cancer (a fortiori s’ils ont aussi un risque cardiovasculaire élevé), en fonction de critères qu’il convient de définir. Il reste enfin à déterminer à partir de quel âge l’aspirine pourrait vraiment être utile : 50 ans ? Ou plus ? Et pendant combien d’années ? Dans cette analyse britannique, il fallait prendre de l’aspirine pendant plusieurs années pour en espérer un effet protecteur : 5 ans pour les cancers de l’œsophage et même 10 ans pour le cancer du côlon ou une quinzaine d’années pour la prostate … D’autres études s’avèrent donc indispensables avant d’envisager de prendre de l’aspirine durant un laps de temps aussi long. Seule certitude : cette bonne vieille molécule n’a pas fini de faire parler d’elle.

Nathalie Szapiro-Manoukian

Source : “Effect of daily aspirin on long-term risk of death due to cancer: Analysis of individual patient data from randomised trials” par Peter M. Rothwell et al., The Lancet, Published Online December 7, 2010 DOI: 10.1016/S0140-6736(10)62110-1.