Le cancer du sein change la perception de ce fleuron du corps féminin. Une étude réalisée par la cancérologue et sexologue Isabelle Gabelle-Flandin sur l’évolution de cette image montre à quel point la maladie bouleverse la vie sexuelle. Mais cela n’est pas irréversible : l’oubli aide à retrouver un sein source de plaisir sexuel. Entretien.
LMC : quel est l’impact du cancer du sein sur cet organe dans la vie sexuelle ?
Le sein sensuel, c’est-à-dire le sein qui participe aux échanges amoureux et au plaisir, est affecté par le cancer. Sa symbolique change, car la maladie s’insinue dans le couple et son intimité. L’étude que j’ai menée a pour objectif de mesurer concrètement cette modification par un questionnaire distribué à toutes mes patientes pendant 2 mois et parmi lesquelles j’ai retenu 67 femmes, majeures, vivant en couple et qui n’ont pas subi d’ablation du sein, mais seulement de la tumeur. Avant le traitement, presque toutes les femmes interrogées estimaient que leurs seins étaient une source de plaisir majeure pour leur conjoint et, pour la moitié, une source de plaisir personnel. Cet organe est donc vu comme un « don fait au partenaire ». Après traitement, seuls 40 % d’entre elles imaginent que leurs seins offrent du plaisir à leur conjoint, et seulement 1 femme sur 5 éprouve du plaisir grâce à son sein traité. La poitrine perd alors de sa dimension de plaisir.
LMC : comment se manifeste ce changement de statut ?
Une partie des femmes interrogées reconnaissent ne plus avoir de sensation, ni de plaisir, et avoir des douleurs ou des troubles de sensibilité. Et surtout, c’est leur féminité qui est menacée, ébranlée, voire disqualifiée. Grâce au questionnaire, je me suis rendue compte que la poitrine est moins mise en scène après le traitement, avec de la lingerie par exemple. Je me suis aussi intéressée à l’attention que les maris portaient aux seins. Elle évolue avant et après le traitement : les seins sont moins caressés et embrassés. En revanche, ils sont plus regardés. Un peu comme si la poitrine était exclue du jeu amoureux et suscitait plus d’interrogations. J’ai également observé l’importance du mamelon : lorsqu’il disparaît à la suite d’une opération, les couples sont perdus. L’une de mes patientes avouait que son mari s’intéressait moins au sein opéré et sans mamelon, qu’à l’autre. Mais elle précisait « il essaye de lui faire jouer un rôle malgré tout ! ». On se rend compte que les conjoints ne sont jamais très loin. L’une a même rapporté que son compagnon était plus sensible et plus présent après le traitement.
LMC : Qu’est-ce qui peut restaurer l’image du sein sensuel ?
L’hypothèse émise avec ce premier résultat et que je vérifierai en demandant à ce même groupe de patientes de répondre à ce questionnaire un an après, est que le sein sensuel retrouve son image grâce à l’oubli de la maladie. Au bout d’un certain temps, qui varie pour chaque femme (en fonction de l’âge, de l’importance des traitements, des séquelles douloureuses, de problèmes de sensibilité…), le sein reprend sa place de source de plaisir dans les jeux amoureux. Mais je pense que la participation active de la patiente est nécessaire pour retrouver un tel contact. C’est parfois difficile, alors j’encourage mes patientes à avoir recours à des séances de kinésithérapie : une tierce personne peut être utile pour restaurer le lien avec le sein et permettre qu’on ait moins peur de le toucher.
LMC : et les conjoints ?
Je les encourage aussi à caresser et toucher la poitrine de leur femme. Ils craignent souvent de faire mal alors que, j’en suis convaincue, leur participation souvent délicate et attentionnée restaure le lien, l’image et la sensibilité. En outre, il est important aussi pour la femme de reconnaître son corps, et j’incite les patientes à masser leur sein en se regardant dans un miroir pour s’habituer à leur nouvelle image après l’opération. Il me semble donc possible de retrouver un sein sensuel après un cancer, grâce à l’aide des soignants, l’oubli de la maladie… et un coup de pouce de la part des deux partenaires du couple.
Propos recueillis par Cécile Pinault