Apprendre à vivre le moment présent est un socle pour traverser au mieux la maladie. Ce pouvoir qui naît de la capacité à profiter de « l’ici et maintenant », toutes les philosophies et traditions spirituelles en ont parlé. Petit mode d’emploi pour appliquer cette stratégie de protection.
Quand dans une journée plutôt banale jusque là tombe l’annonce du cancer, votre rapport au temps se difracte à vitesse grand V. «J’ai entendu prononcer ce mot que je redoutais et ma tête s’est comme pulvérisée sous la pression de mille questions, se rappelle Julia. Combien d’années me reste-il à vivre ? Quand vais-je commencer à souffrir ? Qu’est-ce que je vais dire aux enfants ? »
Les pensées d’un futur sombre envahissent brutalement l’espace mental des nouveaux diagnostiqués, mais le passé frappe tout aussi brutalement à la porte : « Qu’ai-je laissé passer sans m’en rendre compte ? Depuis combien de temps suis-je porteur de ça ? Quand a vraiment commencé la douleur, la fatigue ? », se demande Eric quand on lui apprend que les nodules repérés dans son foie sont malins. Le sentiment de sidération, cette impression d’être plaqué au sol avec des difficultés à respirer, les jambes tremblantes, émerge de ce malström mental qui se met à souffler puissance 7.
C’est vraiment un moment où, à force d’être ballotté par des projections mentales ou des retours en arrière, on perd son axe et donc son centre vital. Première leçon de vie : à chaque fois que l’on ramène son attention au seul moment présent, on récupère de la force intérieure. Oui, mais comment faire ? Cette capacité, qui n’est pas donnée d’avance, demande un certain effort. Celui de revenir sans cesse à la situation réelle et de pouvoir se dire : « Pour l’instant, je suis là, dans le cabinet du médecin. Je suis le même que ce matin. Je ne souffre d’aucune douleur ». Ensuite, il s’agit d’apprendre à pratiquer cette discipline mentale tout au long des traitements.
Pour certains, cette ascèse est devenue régulière. Comme pour Julia: « à chaque fois que je commence à entendre ces voix intérieures qui me disent « tu as le cancer, tu vas déguster avec la prochaine chimio, tu vas te détériorer….je m’arrête sur place, respire profondément et regarde autour de moi : je suis dans ma maison, en train de préparer le dîner, tout va bien. Cela seul existe, le reste, ce sont des films mentaux qui ne m’apportent rien. Je verrai bien, chaque chose en son heure ».
Ce pouvoir qui naît de la capacité à ramener son esprit au moment présent, toutes les philosophies et traditions spirituelles en ont parlé. Pour les Epicuriens, « Carpe diem », profitons au mieux de ce qui nous est donné aujourd’hui, cela nous ressource ; Pour Montaigne, il s’agit de « vivre à propos », c’est à dire de vivre ce qui est là : « Quand je danse, je danse. Quand je dors, je dors », écrivait-il. Aujourd’hui, avec son livre best-seller Le Pouvoir du moment Présent (ed Ariane), l’ancien professeur de Cambridge, Ekhart Tollé, nous rappelle que ce qui est essentiel est d’être plutôt que penser. Et seul l’ancrage dans le « ici et maintenant » permet une telle expérience. Jouer avec son chat, ranger ses placards, ou se reposer peuvent devenir des moments de choix quand on les vit avec le maximum d’attention, bien décidé à ne pas en rater une minute. « Avant, je ne goûtais guère le quotidien. Depuis que j’ai eu ce cancer, prendre le petit déjeuner avec mon mari et mon fils sont des plaisirs de reine. J’en mesure chaque matin toute la joie », explique Julia.
Deuxième leçon de vie: ce qui nous est donné à vivre prend réellement toute sa saveur lorsqu’on le vit en conscience. On pourra objecter : « mais quand le présent est intolérable à cause d’une douleur bien présente, pourquoi y rester collé » ? Là encore, ramener l’expérience aux limites du présent est bénéfique. « Me dire « c’est juste pour maintenant » quand j’ai des nausées, par exemple, me permet de les accepter, de faire avec, et peu à peu de leur donner moins d’emprise », confie Julia. Car qui nous dit que ces douleurs seront encore là dans une semaine ? Troisième leçon de vie : nous ne savons pas ce que nous pourrons vivre demain, mais ce qui se présente à nous dans l’ici et maintenant peut toujours être traversé.
Avec une maladie comme le cancer, qui fait planer un sentiment de menace, la capacité à rester dans l’instant présent devient donc une réelle stratégie de défense et de protection. On n’a guère trouvé mieux pour opposer l’espérance à la peur, la vie à la mort. Car quel que soit notre destin, comme le disait le chanteur John Lennon, «la vie, c’est ce qui est en train de passer quand vous êtes occupé à autre chose».
Pascale Senk