Près d’un malade sur deux se tourne vers les médecines complémentaires tout en étant soigné de manière conventionnelle pour un cancer(1). Mais la plupart de ces patients n’en informe pas leurs oncologues. Un déficit de communication qui, s’il semble avoir ses raisons, peut nuire dans certains cas à l’efficacité des traitements.
Pourquoi un tel désamour entre la médecine conventionnelle, la seule aujourd’hui à donner de réelles preuves d’efficacité contre le cancer, et les médecines complémentaires, souvent efficaces pour lutter contre les effets secondaires des chimio et radiothérapie ? Manuel Rodrigues, interne en oncologie médicale à Paris et auteur d’une des rares études sur le sujet y voit plusieurs raisons, à commencer par l’absence d’enseignement spécialisé sur les médecines complémentaires à l’Université. « Jusque dans les années 60, on enseignait encore la phytothérapie dans les facultés de médecine et de pharmacie. Depuis, il y a une tendance à se tourner vers le tout allopathique». Un mouvement qui s’explique par les progrès de la médecine conventionnelle dans la lutte contre le cancer, mis en évidence par le sacro-saint principe de l’évidence par les preuves : un traitement n’est efficace que s’il le prouve, résultats biologiques à l’appui. Or il y a à ce jour très peu d’études concernant l’efficacité des médecines complémentaires, et donc très peu de résultats disponibles.
Cela n’empêche pas un grand nombre de patients de se tourner vers elles. Manuel Rodrigues précise : « d’après les études, 35 à 50 % des patients cancéreux y ont recours dans les pays industrialisés. La France est dans la moyenne. Et d’après les discussions que j’ai pu avoir avec mes collègues à l’étranger, les médecines complémentaires ne sont pas forcément mieux considérées ailleurs, sauf aux États-Unis peut-être où il existe une agence sanitaire dédiées aux médecines complémentaires et alternatives. Mais il n’y a pas pour autant plus de recommandations pour ces thérapies, ni beaucoup plus de travaux sur leurs résultats ».
Les médecines complémentaires, efficaces contre les effets secondaires
Les patients sont d’ailleurs nombreux à regretter l’expression de condescendance que leur renvoie leur médecin lorsqu’ils parlent des thérapies complémentaires. Car dans les salles d’attentes des hôpitaux, là où les malades s’échangent des « trucs » pour moins souffrir des effets secondaires des chimio et radiothérapie, on parle beaucoup d’homéopathie, d’acupuncture, ou de compléments alimentaires. Et de manière positive. « Je pense que sans l’homéopathie, les compléments alimentaires et les bains dérivatifs, je n’aurais pas du tout résisté à la chimio, confie Geneviève, suivie pour un lymphome à Saint-Étienne. Cela m’a permis de protéger mon coeur et mon foie des effets secondaires du traitement».
Elle fait partie de ces 30 % de patients qui avaient déjà recours aux médecines complémentaires avant de devoir subir un traitement contre le cancer. « Je me méfie assez de la médecine conventionnelle, qui ne s’intéresse pas à la sensibilité ni à l’histoire d’un malade – concernant sa consommation de médicaments entre autre, confie -t-elle. Mon médecin traitant, relativement ouvert d’esprit, savait que je consultais un homéopathe, mais ne manifestait pas réellement d’intérêt pour mon traitement. En général, j’entendais “Si vous y croyiez tant mieux” ou “Est-ce que ça vous coûte de l’argent ? Si c’est le cas, ce n’est pas la peine”.
La preuve par les résultats
Le Dr Patrick Michaud, responsable du département interdisciplinaire de soins de support pour le patient en oncologie (DISSPO) au sein de l’Institut de cancérologie de la Loire (ICL), près de Saint-Étienne, confirme : « les patients pensent qu’ils vont se trouver devant un médecin opposé aux médecines complémentaires. Et selon les cas, ils n’ont peut-être pas tort. Il n’y a que la médecine conventionnelle qui ait apporté la preuve de son efficacité pour lutter contre le cancer, et il n’y a qu’elle pour traiter la cause des symptômes. Mais la prise en charge des conséquences de la maladie, des douleurs symptomatiques par exemple, fait aussi partie du traitement et de ce côté là des preuves scientifiques ont été établies. L’ hypnothérapie par exemple est efficace pour atténuer la douleur chronique et aider à gérer la fatigue. J’ai dans mon service des oncologues qui orientent leurs patients chez des ostéopathes, c’était inimaginable il y a 6 ou 7 ans ».
Le Dr Patrick Michaud peut donc prescrire à ses patients des séances d’hypnose ou d’ostéopathie, pratiquées au sein du DISSPO. « Il y a trois règles : savoir pourquoi on prescrit de la médecine complémentaire, à qui on la prescrit, et qui est le praticien, qui doit avoir un diplôme reconnu. Quand on entend “ça ne peut pas faire de mal”, c’est faux. La communication entre le patient et l’oncologue est essentielle, il est très important pour nous de savoir ce que fait le malade. C’est aussi une question de confiance dans la relation soignant-soigné ». Une règle de confiance, mais aussi de santé.
Des interférences parfois néfastes
C’est une des conclusions de l’enquête MAC-AERIO 2010 : le recours à une médecine complémentaire peut entraîner de possibles modifications pharmacocinétiques des traitements anticancéreux (modifications de la substance active du médicament une fois qu’il est dans l’organisme). « Ce n’est pas parce que c’est naturel que c’est sans danger. Certaines molécules utilisées en chimiothérapie sont développées à partir de plantes, comme la pervenche. Les plantes contiennent des principes actifs, d’où l’importance de ne pas se tourner vers la phytothérapie à l’aveugle, sans accompagnement médical, explique Manuel Rodrigues. On connaît bien, maintenant, le problème du jus de pamplemousse. Associé à certaines thérapies ciblées, il diminue l’efficacité du traitement puisqu’il favorise son élimination par les reins ». Même mise en garde pour l’acupuncture : « les effets secondaires directs semblent rares, mais il ne faut pas la pratiquer en cas de baisse du nombre de plaquettes sanguines ou de traitement anticoagulant associé ».
Manuel Rodrigues relève une difficulté d’ordre méthodique : « il y a très peu de données au sujet de ces interactions, qui en plus sont multifactorielles. A l’heure actuelle, il est donc impossible d’évaluer l’effet de l’exposition à certaines molécules ou certaines pratiques. Une étude à très grande échelle impliquerait 5000 cohortes de patients, pour recouper tous les principes actifs et les différents types de thérapies ! Le genre de protocole qu’on n’est pas prêt à mettre en place ! ». Reste donc, pour mieux vivre son traitement, à utiliser les médecines complémentaires dont l’efficacité est prouvée, et ceci en accord et concertation avec son oncologue référent.
Marion Wagner
(1) Source : enquête MAC-AERIO 2010