Cancérologue et chercheur atypique à Polytechnique, Laurent Schwartz dénonce depuis longtemps les thérapeutiques classiques contre le cancer. A l’ heure où il publie « Cancer : Guérir tous les malades. Enfin ? », nous avons rencontré ce chercheur qui n’hésite pas à bousculer croyances et certitudes dans l’espoir de faire avancer la science.
LMC : pourquoi ce livre ? Son titre n’est-il pas un peu provocateur ?
Même si l’on observe quelques progrès, aujourd’hui, la recherche sur le cancer patine. Si l ’on tient compte de l’augmentation de l’espérance de vie, la mortalité par cancer reste très élevée (150 000 morts par an) et les pronostics de certains cancers difficilement curables (pancréas, cerveau, poumon, par exemple) n’ont pas évolué depuis 40 ans. Quant au dépistage, excepté pour le cancer du col de l’utérus, il n’a pas entraîné de diminution notable du nombre de morts. Nous devons donc avoir l’honnêteté de constater que les avancées thérapeutiques ne sont pas à la hauteur des budgets alloués.
LMC : ce tableau n’est-il pas un peu sombre ? On observe quand même des avancées notables, notamment dans le traitement de certaines formes de leucémies, comme c’est le cas pour la Leucémie Myéloïde Chronique, par exemple. On pense aussi aux thérapies ciblées, aux chercheurs qui travaillent sur des vaccins…
En effet, le Glivec utilisé dans le traitement de la leucémie myéloïde chronique représente un progrès. Pour autant, il ne s’agit pas d’une molécule récente. Quand aux vaccins, ils reposent sur un paradigme partagé par le plus grand nombre, à savoir : le cancer est une maladie complexe dont le traitement consiste à éradiquer les « mauvaises » cellules. Grossièrement, il s’agit d’un combat entre le bien et le mal. Cette représentation du cancer ne me semble pas juste.
LMC : ce paradigme serait-il donc erroné ?
Oui. D’ailleurs le corps médical n’arrive toujours pas à expliquer les mécanismes du cancer. Nous savons que l’alcool et le tabac sont responsables de 30% des cancers, tout le monde s’accorde sur ce point, mais quid des 70% restants ? Nous butons toujours sur la cause. Je fais donc l’hypothèse suivante : il est possible que le cancer soit une maladie plus simple qu’on ne le croit, et dont la cause serait liée à un dérèglement enzymatique. Le cancer serait une maladie du fonctionnement métabolique qu’il s’agirait alors de rétablir avec une combinaison de molécules appropriées. J’ai l’impression que nous sommes arrivés à un point de rupture où il est temps de faire des essais cliniques sur d’autres sortes de molécules que les chimiothérapies que nous connaissons aujourd’hui. Bien plus qu’un ouvrage polémique, je propose donc un message d’espoir car ce sont des pistes prometteuses.
LMC : pouvez-vous nous en dire plus sur ces molécules ?
Je ne veux pas trop entrer dans les détails : il n’est pas question de crier victoire trop vite et d’inciter les malades à faire de l’auto-médication. Nous avons besoin de mettre en place des essais cliniques pour affiner nos hypothèses et surtout de repenser la grille de lecture utilisée habituellement pour appréhender le cancer. C’est vraiment le message important que je souhaite faire passer.
LMC : avez-vous mené des expérimentations sur ces molécules ?
Bien sûr, mes hypothèses s’appuient sur la réflexion mais aussi sur l’expérimentation.
Pendant plusieurs années, nous avons mené des expériences sur des souris auxquelles nous avons injecté des cellules cancéreuses. Nous avons ensuite testé sur les rongeurs près d’une centaine de médicaments prescrits dans d’autres maladies que le cancer. Une combinaison particulière, comprenant notamment de l’acide lipoïque et de l’hydroxicitrate, a montré une efficacité analogue à la chimiothérapie anticancéreuse, mais présentant bien moins d’effets secondaires. Pour moi, c’est une piste prometteuse. Dans mon livre, je cite également le cas d’Antonello, atteint d’un cancer du colon que les médecins pensaient incurable. Après administration de ces molécules non toxiques en parallèle d’un traitement classique, il va bien. Trois ans après, il a repris le cours de sa vie. Ce n’est pas une preuve mais c’est bon signe. Parallèlement, le Dr Berkson, un américain, publie avec une combinaison de molécules analogues des cas de survie prolongée de cancer du pancréas dont nous connaissons tous le pronostic redoutable. Je ne dis pas que nous avons trouvé la solution et que ces molécules sont miraculeuses (ce ne sont d’ailleurs pas les seules qui soient prometteuses) mais cette piste mérite d’être creusée. Il est possible que nous soyons arrivés à un moment de rupture qui rende possible rapidement de nouvelles avancées thérapeutiques. N’ayons pas peur d’y croire !
Propos recueillis par Nathalie Ferron
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Laurent Schwartz & Jean-Paul Brighelli : « Cancer. Guérir tous les malades. Enfin ? », éditions Hugo &Cie.
Photo : ©Vanda Spengler