Parmi tous les témoignages écrits sur la traversée du cancer du sein, celui de Sylvia Tabet, écrivain et peintre, nous a particulièrement plu. Dans « Les patientes », elle raconte avec finesse la bascule dans « l’autre temps », celui de la maladie et des traitements. Et montre comment l’écriture l’a soutenue dans ce voyage non choisi.
Sylvia Tabet a vécu l’épreuve de la « fausse bonne nouvelle » : « vous n’avez rien », lui avait dit son médecin. Puis, « on va quand même retirer une petite boule ». Sylvia est seule lors de l’annonce mais plus jamais seule avec ce cancer en elle. Sur la suggestion de son médecin, elle se met à écrire. Dans le bus, chez elle, et surtout dans les salles d’attente. Attendre… quand on est patient… une si grande évidence ! Avec du temps à meubler tant la vie est ralentie pendant ces 7 semaines de radiothérapie. Dans « les confessions », Saint – Augustin écrit : « le présent de l’avenir, c’est l’attente ». C’est cette attente là et ce changement dans son rapport au temps, d’emploi de son temps, que décrit avec justesse l’auteur. Un temps qu’elle prend à regarder la vie, le paysage urbain, les autres. Dans ce temps modifié, la solitude du malade et le silence sont présents car le « seul travail possible est de se soigner ». De toute façon, l’échange avec les autres n’est plus le même.
Mais il y a des regards échangés et des paroles avec les patientes de l’institut Curie. Sylvia attend et pense déjà au jour où elle quittera « ce monde des patientes ». Son livre est un joli témoignage de ce qui se vit parmi les patientes qui attendent leur rendez-vous et que ça se passe. C’est aussi l’attente du retour à une vie « sans les traitements », «sans la fatigue », « sans la douleur ».
Elle écrit « pour ne pas attendre et garder une bonne distance (…) c’est une petite fièvre, un besoin, une évidence ».
Dans « En soignant, en écrivant », Martin Winckler a dit : « j’écris pour ne pas oublier qui je suis ». Sylvia Tabet a écrit pour ne pas oublier ce qu’elle vivait et pour mettre à distance la colère et l’injustice, « rendre compte de l’indicible ». Dans « écrit », il y a « les cris », remarque-t-elle. Le cri de l’injustice silencieusement rageuse à la vue des enfants cancéreux. Ecrire et se rendre compte aussi d’un possible syndrome de Stockholm (1) qu’elle s’imagine développer envers l’hôpital et les soignants. Ecrire et revenir sur son histoire familiale, sa judéité, penser aux disparus de sa vie. Poser avec ses mots l’interrogation sur son identité. Ainsi, sortant de l’hôpital, l’auteur se demande : « Suis-je encore une femme pour ceux qui savent ou seulement un être qui a besoin qu’on lui tende la main ? ». Sans doute les deux. Mais l’identité bouge en soi et dans le regard de l’autre : « Je me sens vilain petit canard. Peur de déranger » ses amis, qui eux, « n’ont pas de cancer ». « Tendez-nous la main, vous qui êtes dehors », est un appel d’ouverture au monde tant la maladie peut enfermer. Qui sera-t-elle après quand tout sera fini ? Le cancer dépossède-t-il de sa propre vie ?
Le chemin de son parcours de patiente (et de ces parcours pour aller et venir à l’institut Curie) se conclue par une dernière séance de radiothérapie. Les mots « c’est fini », font couler non pas de l’encre, mais des larmes. Sylvia Tabet ne verra plus « l’abattage curien » des patients en salle d’attente, … Ces patients abattus mais pas battus… qui de vilains petits canards vont relever leur col, tels des cygnes.
« Les patientes » de Sylvia Tabet nous emporte étonnamment vers une émotion douce, celle donnée par la grâce sensible des mots.
Marina Lemaire.
Les patientes-Edition La Découverte-Les empêcheurs de penser en rond.
(1) Au cours de leur captivité, certains prisonniers développent ce qu’on appelle le syndrome de Stockholm envers leurs ravisseurs : un curieux phénomène psychique qui conduit à éprouver un curieux phénomène d’empathie décrit en 1978 par le psychiatre américain F. Ochberg.