Ils sont de plus en plus nombreux ceux qui choisissent de témoigner sur leur quotidien avec la maladie : journaux intimes, chroniques d’hospitalisation deviennent des livres, ou alimentent des blogs sur la Toile. Entre le besoin de se confesser, le désir de témoigner et parfois la complaisance narcissique, que peut donc apporter l’écriture face à l’épreuve ?
Si l’on « Googlelise » quelques grandes pathologies au long cours (cancer, diabète, dépression…) et choisissons de croiser ces noms de maladies avec l’item « témoignages », plus d’une centaine de liens apparaissent. Certains malades tiennent même leur journal intime en direct sur Facebook ou Twitter, se cooptant avec de jeunes médecins, très présents eux aussi . Quant aux publications de l’année 2010, elles aussi comportent pléthore de récits de maladie. On peut donc se demander pourquoi tant de patients choisissent d’écrire.
Apaiser la douleur
« Mettre sa vie en mots soulage », explique le psychiatre Christophe André, pour qui l’écriture est une forme de libération des émotions, un moyen d’expurger ses sentiments, ses peines, ses difficultés, alors que nous sommes souvent en proie à « la difficulté de nous poser et à réfléchir sur nous ». Les dramaturges Grecs, eux, évoquaient bien avant nous une « épuration des passions ». Hervé Chabalier, journaliste qui a raconté son combat contre l’alcoolisme (1), va plus loin encore en disant : « l’écriture est comme une couche supplémentaire qui s’ajoute à la thérapie ». L’écriture finalement aiderait à rendre le monde plus habitable et à « adoucir le cours des choses », en reprenant Borgès.
Ecrire sur les évènements qu’on doit traverser revient à appuyer sur « pause » et en profiter pour poser un autre regard, mettre à plat, prendre de la hauteur et de la distance. Présidente de l’association Les Amazones s’exposent, Annick Parent, qui a toujours écrit, explique: « J’ai eu l’idée de mettre en ordre chronologique mes notes, histoire de relire ce que j’ai écrit, de prendre de la distance aussi par rapport à la maladie, de voir ce que ça donne avec du recul ».
Pour l’écrivain Annie Ernaux – « elle dont la vie et la traversée du cancer entre autres (2) » constitue le matériau principal de son œuvre, l’écriture est « un acte politique » dans le sens où « On ne peut pas penser écrire et que ça n’ait pas de retentissement sur l’inconscient et le conscient des gens ». Interrogée sur le thème « Ecrire, pourquoi ? » lors d’une conférence ouverte au grand public (3), elle répondit : « pour que nous n’ayons pas vécu pour rien ». Pour que le malade n’ait pas vécu pour rien, pour que tous ces « héros ordinaires » n’aient pas vécu pour rien, pour « sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais (4)».
Transmettre
Que ce soit via un livre ou un blog, écrire peut naître en effet d’un désir de transmission. Chez Annick Parent, l’envie « d’éclairer cette zone d’ombre (tabou) qu’est le passage de femme à deux seins à femme à un sein » l’a poussée à raconter dans un livre son « Itinéraire d’une amazone ». « On est très nombreux à être passés, un jour ou l’autre, par une maladie grave, et on essuie tous les mêmes plâtres, or il n’y a pas de transmission du “savoir”. Pourquoi ne pas essayer de donner un fil d’Ariane, de jouer un rôle de passeur, tenter de faire en sorte que des femmes qui vont avoir une ablation du sein découvrent avant l’heure – ou en même temps – ce qui se joue là (même si, bien sûr, mon expérience n’est pas représentative de toutes les autres) dit–elle. Et parfois, c’est tout simplement un manque qui déclenche la démarche d’écrire.
Puisqu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, autant créer ce qui fait défaut et ce qu’on recherche. C’est le cas de Catherine Cerisey qui a commencé son blog plus de 8 ans après avoir traversé un cancer du sein. Son désir est né de la déception de ne rien trouver à se mettre sous sa dent : « J’ai désespérément cherché des informations fiables sur internet (qui en était à ses balbutiements). Je suis tombée sur pléthore de sites et forums extrêmement anxyogènes. Peu à peu, j’ai donc commencé à écrire en ayant un seul but : donner des informations vérifiées, les plus positives possibles sur le cancer du sein ». ». Elle a finalement créé son blog : on y parle autant du malade que de la maladie, mais aussi de films, d’expos, et de l’actualité du net.
Enfin, tout un courant venu du monde anglo-saxon nous a apporté depuis quelques années l’écriture –thérapie (voir l’interview d’Anne-Marie Jobin et son Journal créatif), preuve en est – s’il fallait le démontrer – que l’écriture se décline en version thérapeutique.
Décidément, comme le dit un proverbe chinois « La mémoire la plus forte est plus faible que l’encre la plus pâle ».
Stéphanie Honoré
(1) Hervé Chabalier, Le dernier pour la route, Robert Laffont, 2004
(2) Annie Ernaud et Marc Marie, L’usage de la photo, Gallimard, 2005.
(3) Rencontres avec des écrivains français et étrangers du Centre Pompidou, 8 février 2010.
(4) Annie Ernaud, Les années, Gallimard, 2008.