Jean-Marie Pelt : « Privilégiez le bio ! » | la maison du cancer

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Les liens entre cancer et pesticides s’avèrent de plus en plus évidents, mais le monde de l’agriculture renâcle à changer ses habitudes. Qu’en penser? Et comment les consommateurs peuvent-il s’en tirer au mieux ? Auteur d’un nouvel ouvrage sur les pesticides, le célèbre botaniste-écologiste Jean-Marie Pelt nous donne ses réponses.

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LMC : quand a-t-on pris conscience du lien possible entre pesticides et cancer ?

Cette prise de conscience est en train de se faire. Les scientifiques ont d’abord été alertés par les effets des pesticides sur le système reproducteur. En 1992, un médecin danois a révélé que la quantité moyenne de spermatozoïdes dans le sperme humain aurait décliné de 50 % entre 1958 et 1990, tandis que le taux des cancers testiculaires y aurait triplé entre 1940 et 1980. Ces résultats furent confirmés trois ans plus tard par l’équipe d’un chercheur français sur une population masculine parisienne. Au vu de nombreuses études aux conclusions convergentes, l’effet de perturbateur hormonal des pesticides ne peut plus être contesté. Pour le cancer, c’est plus compliqué. Il est impossible de dire que tel ou tel pesticide génère telle sorte de cancer. Nous sommes exposés à des cocktails de molécules, ce qui rend impossible d’établir l’effet pathogène de chacune d’elles : elles agissent en mélange et leurs éventuels effets cancérogènes ne se manifestent qu’à long terme.

LMC : pourquoi y a-t-il en France aussi peu d’études épidémiologiques sur le lien entre cancer et pesticides, alors que nous en sommes les premiers consommateurs de l’Union européenne ? 

Nous  sommes mauvais dans ce domaine car nous avons toujours privilégié le curatif sur le préventif.  C’est un point faible de la culture médicale française par rapport aux Anglo-Saxons, bien meilleurs que nous sur ce point. Il  est inquiétant de constater que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) n’ait pu évaluer que 10 % des pesticides utilisés sur le marché. Et stupéfiant de savoir qu’il ne dispose pas toujours de toutes les études effectuées par les industriels, lesquelles sont protégées par des clauses de confidentialité… Bref, ce que l’on sait avec certitude de la cancérogénicité des pesticides reste très fragmentaire et beaucoup d’instances officielles nient le rapport entre cancer et environnement. (cf notre article : cancer et environnement, quels liens)Il faudrait une forte mobilisation des pouvoirs publics pour améliorer la situation.

LMC : vous mettez en avant la prévalence de certains cancers chez les agriculteurs. Que pensez-vous de l’étude Agrican lancée par la Mutualité sociale agricole (MSA) et fortement soupçonnée de partialité ?

Les enquêtes de cette nature devraient être faites dans le domaine public et il aurait mieux valu que l’Union de l’industrie de la protection des plantes, liée à la vente de produits phytosanitaires, ne participe pas à son financement… Il n’empêche que c’est un projet audacieux qui nous change des bricolages antérieurs. L’enquête est effectuée à partir des registres des cancers de douze départements français et d’un questionnaire adressé à plus de 600 000 personnes. Mais il faudra attendre 2015 pour que l’ensemble des résultats soit connu.

LMC : quel est votre avis sur la possibilité de réduire l’usage des pesticides de – 50 % d’ici 2018, conformément à l’objectif du Grenelle de l’Environnement ?

Je suis l’un des rares généralistes de l’écologie. Que vois-je ? Des engagements du Grenelle qui sont en train d’être tenus, notamment sur les performances énergétiques des bâtiments, les Plans Climat… Et puis beaucoup plus d’obstacles dans le domaine de l’agriculture, où la culture du “ on ne peut pas faire autrement ” domine encore… Il y a une sorte de désaveu intellectuel sur l’agriculture bio que je ressens très fort et qui reste très difficile à contourner. Je n’ai aucune rancœur vis-à-vis du monde agricole, pour avoir été élevé dans une ferme, mais force est de constater qu’il est très formaté par l’agrochimie. Je note tout de même une évolution positive : depuis que j’ai fait ce livre, plusieurs lycées agricoles m’ont invité et encouragé à dire ce que je pense. Or, ils forment les agriculteurs de demain…

 LMC : quelles alternatives proposez-vous aux particuliers pour réduire les doses de pesticides ?

Privilégiez le bio ! Cultivez un jardin sans pesticides en vous inspirant des traditions ancestrales, comme dans les jardins de curé où l’on tire parti des plantes compagnes (poireau et céleri rave, carotte et oignon, tomate et œillet d’Inde…). (cf aussi notre article : jardiner sans pesticides) Pratiquez la lutte biologique ! Les ouvrages sur la question ne manquent pas, et si je puis me permettre un conseil –bien que je n’aie aucune action dans cette enseigne ! –, fréquentez les jardineries de la chaîne Botanic, qui a éliminé de ses 55 points de vente tous les engrais et pesticides chimiques de synthèse. Leurs employés sont parfaitement formés sur le jardinage écologique et prodiguent de véritables conseils. Comme les pharmaciens, ils vous orientent vers le produit idoine. Les rayons de jardinage bio se sont aussi étoffés dans les enseignes traditionnelles, mais les conseils n’y sont pas aussi avisés.

LMC : vous faites un lien important entre l’alimentation et le risque de cancer. Quel est selon vous le régime idéal ?

Notre alimentation est marquée par l’industrialisation et l’intégration aux aliments d’innombrables additifs chimiques (colorants, conservateurs, arômes…). C’est par la nourriture que nous ingérons le plus de pesticides. Or, le bio présente l’avantage d’être exempt de pesticides. Et il faut tordre le cou à cette idée qui prétend le contraire ! Les aliments bio contiennent aussi moins d’eau et donc, à poids égal, plus de nutriments. il est bon aussi d’introduire dans l’alimentation des produits comme le brocoli et le curcuma, reconnus pour leurs effets protecteurs. Enfin, il s’avère également nécessaire de limiter les prises de nourriture, nos besoins en calories étant moins importants qu’autrefois. Notre longévité est désormais annexée sur des quantités de nourriture modestes.   

Propos recueillis par Catherine Levesque.

« Cessons de tuer la terre pour nourrir l’homme ! » de Jean-Marie Pelt, avec la collaboration de Franck Steffan. Ed. Fayard (18 €).