Porte-parole du Réseau Environnement Santé (RES), André Cicolella est chimiste et toxicologue. Malgré l’interdiction du Bisphénol A en 2011, il dénonce le manque de prise en compte des facteurs environnementaux dans la hausse des maladies chroniques. Et pointe du doigt les récentes attaques faites à la recherche environnementale.
LMC : qu’est-ce que le Réseau Environnement Santé (RES) ?
RES est né il y a trois ans et regroupe des ONG de défense de l’environnement, des scientifiques, des associations de malades et des professionnels de la santé. Il a été créé pour changer l’approche des politiques publiques concernant le poids des facteurs environnementaux dans les maladies chroniques. Notre objectif est de mettre les questions d’environnement et de santé au coeur des politiques publiques.
LMC : quel est le lien établi entre l’environnement et la santé aujourd’hui ?
Il est bien trop marginal alors qu’il n’y a jamais eu autant de maladies chroniques. Il règne un réel conservatisme scientifique sur cette question, bâti sur un cadre de réflexion qui fonde encore l’essentiel de la formation. Par exemple, pour le cancer, la grille d’explication classique pour expliquer l’augmentation du nombre de malades reste le vieillissement de la population et la consommation de tabac et d’alcool. Cela ne suffit pas à expliquer la gravité de la situation actuelle et les causes environnementales sont totalement laissées pour compte. Il n’y a d’ailleurs quasiment rien sur ce thème dans le Plan Cancer. Cependant il faut reconnaître quelques progrès ces dernières années. En 2007, le rapport de l’Académie de Médecine sur le cancer et ses causes avait fait scandale car il ne comportait quasiment rien sur les facteurs environnementaux. En 2011, l’Académie reconnaît la «nocivité probable» du Bisphénol A ou des parabens. C’est une avancée.
LMC : vous dénoncez deux attaques récentes faites à l’encontre de la recherche en santé-environnement. Quelles sont-elles ?
La première concerne l’arrêt pour 2012 du programme consacré à la santé environnementale intitulé «Contaminants et environnement : métrologie, santé, adaptabilité, comportements et usages» (CESA). Cette décision a été prise par l’Agence nationale de la recherche (ANR) le 27 octobre dernier alors qu’il s’agit du plus important programme de recherche en toxicologie, en écotoxicologie, portant sur les contaminants de l’environnement. La décision a été prise en catimini à la demande du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche sans que le conseil scientifique de l’ANR n’ait été associé. C’est une faute grave qui démontre un réel choix politique alors même que la France est très en retard en matière de recherche en santé environnementale. Plus de 3200 personnes, dont beaucoup de chercheurs et de scientifiques ont signé la pétition pour le rétablissement du CESA.
LMC : votre deuxième dénonciation concerne la fermeture du registre REMERA…
Les mauvaises nouvelles n’arrivent jamais seules et récemment c’est le Registre des Malformations congénitales de Rhône-Alpes (REMERA) qui a perdu sa qualification ce qui entraîne son arrêt au 1er janvier 2012. Le REMERA existe pourtant depuis 1973. Ce registre est un outil important pour identifier les propriétés tératogéniques, c’est-à-dire responsables de malformations fœtales, des substances ou des pollutions auxquelles les femmes enceintes sont exposées dans leur environnement. Et qui peuvent par la suite entraîner des cancers. Fermer un registre de malformations, c’est se priver d’un outil pour mieux comprendre le lien avec l’environnement. C’est vraisemblablement l’objectif recherché, l’argument budgétaire étant selon nous un prétexte. S’il est un domaine qui ne doit pas être touché par les restrictions budgétaires, c’est bien celui-là car c’est un investissement qui permet à la fois des gains de santé et des gains économiques. Ces décisions sont en totale contradiction avec l’objectif affiché par le plan national Santé-environnement.
LMC : pourtant, l’année 2011 avait connu de belles avancées, avec notamment l’interdiction du Bisphénol A… ?
Notre réseau s’est dès le départ attaqué aux perturbateurs endocriniens, en particulier au Bisphénol A. Le vote des députés français, qui ont interdit ce composant à tous les contenants alimentaires à partir de 2014, est un pas très important. Mais la volonté gouvernementale ne suit pas et il manque un appareil institutionnel pour mettre en place une réelle politique de santé environnementale. Les deux dernières affaires que j’ai évoquées sont un très mauvais signal pour ce début d’année. Il est urgent de mettre en place une politique réellement ambitieuse basée sur le développement des disciplines scientifiques de l’évaluation du risque, des outils structurants comme des registres de pathologies et de population, des grandes enquêtes et des appels d’offres diversifiés. Cela pourrait être mis en place via la création d’un Institut National des sciences de l’environnement.
Propos recueillis par Cécile Cailliez
Crédit photo : WWF – France