Deux études scientifiques l’ont montré : le cancer menace fortement la stabilité du couple. Qu’est-ce qui favorise la survie ou l’explosion du lien conjugal pendant la maladie? Lorsqu’il est demandé, le divorce est-il une vraie solution pour les partenaires ? Professionnels et ex-malades nous livrent leurs réponses.
En 2007 une équipe norvégienne, lors du congrès de l’Organisation européenne du cancer, a présenté les résultats d’une étude menée pendant vingt ans (1) et comparant le taux de divorces dans une population de personnes ayant survécu à un cancer à celui observé dans une population lambda. Résultats : plus de divorces dans le premier groupe, mais avec des scores différents selon les types de cancer (40% de plus pour les cancers de l’utérus, 20% de plus pour les cancers du testicule).
Autre variable : l’âge des malades concernés : plus ils étaient jeunes plus le nombre de divorces était important. Une autre étude, américaine celle-ci et publiée deux ans plus tard dans la revue Cancer (2) corroborait ces observations : 12 % des mariages ne résistent pas à l’épreuve, mais le risque est 7 fois plus élevé lorsque c’est la femme qui est atteinte (21%) plutôt que l’homme(3%) ; les couples les plus anciens sont aussi les plus solides.
Des histoires singulières
Au pied du mur, toutefois, les statistiques ne sont rien, et seule compte vraiment l’histoire de chacun. En effet, il suffit d’aller lire la discussion sur « le rôle difficile du conjoint » dans notre rubrique « Partageons nos expériences » pour s’apercevoir qu’existent aussi des femmes qui partent pendant le cancer de leur mari. Que d’autres ont été soutenues pendant toute la durée de leurs traitements, et encore après, par un conjoint aimant. De fait, comme le souligne Catherine Adler, psycho-oncologue, vice-présidente de l’association Etincelle « sur le couple face au cancer, on peut dire tout et son contraire. La maladie ne provoque pas plus le divorce qu’elle ne crée de lien. Elle révèle, en revanche, la qualité de la relation. »
Par ailleurs, Catherine Adler remarque aussi qu’il n’est pas rare que ce soit la femme elle-même, malade, qui commence à s’éloigner. Pourquoi ? « Elle ne veut plus qu’on la voit, qu’on la touche, se sent indésirable, n’a plus de désir non plus, car elle ne se sent plus femme, explique la psychologue. Et ce que je remarque souvent, c’est qu’ elle se met alors à penser à la place de l’autre, en projetant ses angoisses : « il va me quitter, je le dégoûte ». Elle préfère alors se replier sur elle-même.»
Une réaction qui peut évidemment être aussi masculine. Des hommes souffrant de cancer de prostate en arrivent à se sentir si diminués par les troubles érectiles après l’opération qu’ils préfèrent éviter tout contact physique avec leurs conjointes de peur d’être confrontés à l’insatisfaction de celles-ci.
Partir …. Ou parler?
Sur le plan sexuel, le désir, de fait, peut aussi être troublé par des peurs inconscientes : peur de la contagion, angoisse d’être happé par le vide (après une hystérectomie de la femme par exemple), peur de faire mal, par exemple. Faute de pouvoir être reconnues et parlées, ces angoisses empoisonnent parfois le lien au point de le faire exploser. Mais selon Catherine Adler, ce n’est pas la cas le plus fréquent. « La plupart des conjoints sont tellement soulagés de voir la personne qu’ils aiment vivante, ils ont tellement peur de la perdre qu’ils s’accrochent! » ;
Cet amour est quelque fois difficile à imaginer pour le malade dont l’image de soi est tant malmenée par la maladie. « C’ est alors que l’absence de communication complique la situation, constate Catherine Adler. Se taire et croire savoir ce que pense l’autre peut conduire à des impasses». Pourquoi, alors, ne pas consulter ensemble, afin de faire de nouveau circuler la parole?
Une nouvelle exigence
Autre piège du cancer : la différence de vécu. Une maladie qui confronte à la finitude, à l’angoisse face au risque réel de mourir, est une expérience difficilement partageable. «C’est comme si l’un mûrissait soudain plus vite que l’autre, explique la psycho-oncologue. De fait, l’homme ou la femme en train de se battre face à la maladie, ou qui a surmonté l’épreuve, devient en quelque sorte plus exigeant (e) face à la vie ».
Un changement de « niveau » qui s’est produit pour Françoise, aujourd’hui psychologue énergéticienne, et écoutante à Etincelles. « J’ai vécu la maladie de 1995 à mai 1997. En juillet 97, le jugement de non-conciliation était prononcé, se souvient-elle. En fait, le cancer a été le révélateur, le symptôme d’une relation rendue toxique par la dépendance, en même temps qu’il nous a permis de nous séparer. Il a rendu évidente la nécessité de divorcer. Lorsque, après les premiers traitements, j’ai fait une rechute grave, mon mari qui était très présent, a compris qu’il s’agissait d’une question de vie ou de mort pour moi et a accepté le divorce. Cela s’est alors fait en bonne intelligence, notre relation a gagné en authenticité ce qui a été très important pour notre petit garçon. Ainsi, j’ai pu repartir et ouvrir un nouveau chapitre de mon existence. »
Peur des uns, solitude des autres
Quelque soit le degré d’entente avant la maladie, celle-ci oblige chacun à jouer une partition séparée : celui qui se bat contre la maladie vit une expérience à un certain point impartageable ; celui qui l’accompagne traverse lui aussi des moments de grande solitude : « Tout le monde est autour du patient, inquiet, et c’est normal, constate Catherine Adler, mais personne ne lui demande de ses nouvelles à lui, l’aidant. Il peut aussi éprouver un sentiment d’impuissance insupportable : ne rien pouvoir faire pour soulager ou sauver l’autre peut être extrêmement mal vécu. »
Certains se réfugient alors dans le travail, creusant ainsi le fossé avec son conjoint. Dans certains cas, une aventure peut servir également de soupape, sans qu’on sache jusqu’au elle peut mener. « Il peut s’agir d’une simple aventure qui permet de s’épancher, d’être écouté, soutenu à son tour par quelqu’un, observe la psychologue. Elle peut apporter une forme de légèreté, et au final permettre de traverser l’épreuve. Le risque c’est qu’évidemment, l’attachement à cette liaison devienne plus fort et ne remplace le lien antérieur…». Une situation qu’avait décrite avec beaucoup de délicatesse le film « Ceux qui restent », d’Anne le Ny, avec Vincent Lindon et Emmanuelle Devos (2007).
Ce qui fait tenir les couples
Si les jeunes couples résistent moins bien, ce peut être parce que le cancer vient compromettre un désir d’enfant, ou apporte plus de gravité que l’autre ne peut en supporter, mais c’est aussi sûrement parce que les liens tissés, trop frais, n’ont pas toujours eu le temps de se solidifier. Car s’il révèle les failles du couple, le cancer révèle aussi ses forces, comme en témoigne Nathalie qui a soutenu son mari Michel, pendant les deux ans qu’a duré son combat contre une tumeur au rein métastasée qui l’a emporté. « Nous étions très liés avant la maladie, très solidaires, très complémentaires, et cela a continué pendant, raconte la jeune femme. Comme dans nos relations sociales, j’ai été celle qui communiquait, qui faisait le lien avec les médecins. J’avais envie de me battre avec lui. Il y avait aussi beaucoup de respect entre nous et cela a été fondamental. C’est grâce à cela que j’ai compris sa décision d’être pris en charge à l’hôpital plutôt qu’à la maison. Il voulait nous protéger, nos filles et moi. Aussi, l’image que je conserve de lui a ainsi été préservée ». N’en déplaise aux statistiques, l’amour n’est pas forcément soluble dans le tsunami du cancer et la question qui demeure est la suivante : lorsqu’il l’ est, n’était-il pas déjà un peu en danger?
Isabelle Palacin
(1) « Does Cancer affect the mariage rates »(Le cancer affecte-t-il les statistiques du mariage) Astri Syse, chercheur au Registre Norvégien du cancer à Oslo, auteur également de l’étude parue dans Journal of Cancer Survivorship (2008)
« Gender disparity in the rate of partner abandonment in patients with serious medical illness » (Disparité hommes/femmes dans la proportion de partenaires abandonnant leur conjoint atteint de maladie grave) de Michael Ganz et Marc Chamberlain- revue Cancer (2009).